La France est-elle vraiment plus généreuse que les autres pays avec les chômeurs ?
François Bayrou demande aux partenaires sociaux de négocier une nouvelle réforme de l’assurance chômage. En arguant que les droits des chômeurs seraient plus avantageux en France qu’ailleurs en Europe. Un diagnostic erroné.
« La vie est un éternel recommencement », dit le vieil adage. C’est particulièrement vrai pour ce qui est de l’actualité sociale. Six mois à peine après que les partenaires sociaux ont signé un accord sur les règles de l’assurance chômage, François Bayrou leur demande… de les renégocier. Ce ne sera jamais que la cinquième fois depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron en 2017.
En plein milieu de l’été, le Premier ministre a ainsi envoyé une lettre de cadrage aux organisations syndicales et patronales.
« La situation financière de l’assurance chômage et la nécessité de travailler plus nombreux rendent nécessaire une évolution des règles de l’assurance chômage », écrit-il.
Le chef du gouvernement souhaite que des mesures soient prises, avant le 15 novembre, pour renforcer les « incitations au retour à l’emploi », en modifiant les paramètres de l’accès à l’assurance chômage (durée minimale d’emploi et période de référence nécessaires à l’ouverture des droits, durée et montant de l’allocation).
En d’autres termes, François Bayrou veut serrer la vis, une fois encore. Alors même que les études montrent que durcir les règles pousse les demandeurs d’emploi à accepter des contrats précaires. Bref, pour le Premier ministre, la France serait trop généreuse avec les chômeurs. Mais qu’en est-il vraiment ?
Travailler paie toujours plus que le chômage
« Un système trop généreux », en voilà une formule qui paraît simple. Pourtant, comparer la France avec ce qui existe ailleurs est complexe du fait des nombreux critères en jeu. Parle-t-on du montant des indemnités chômage ? De la durée d’indemnisation ? Des conditions d’accès ?
Jean-Marie Pillon, maître de conférences en sociologie à l’université Paris Dauphine PSL et Baptiste Françon, maître de conférences en économie à l’université de Lorraine, ont justement épluché les systèmes d’assurance chômage pour réaliser des comparaisons internationales. Les deux chercheurs, références dans le domaine, se sont concentrés sur les pays européens comparables à l’Hexagone par la taille de la population et leur PIB.
Premier élément de comparaison : le montant moyen des prestations des demandeurs d’emploi. Un « système généreux » serait de toute évidence un pays où des sommes importantes seraient distribuées aux chômeurs. Ces derniers, dans l’imaginaire collectif, toucheraient même plus que « les gens qui travaillent ».
Mettons tout de suite fin à ce fantasme : les demandeurs d’emploi perçoivent en moyenne des indemnités inférieures, voire très inférieures aux salaires perçus par la majorité des personnes en emploi. Et ce, dans tous les pays étudiés.
Dans le détail, en France, les allocations que touche un chômeur (905 euros en moyenne) représentent 46,4 % du salaire médian national. C’est plus qu’en Pologne, au Royaume-Uni ou en Suède, mais moins qu’au Danemark, en Espagne ou aux Pays-Bas. Sur l’échelle de la « générosité supposée », l’Hexagone occuperait donc une position intermédiaire.
Des indemnités chômage partout inférieures aux salaires des personnes en emploi

Montant des allocations chômage en proportion du salaire médian national, en %
Source : Eurostat, estimations Jean-Marie Pillon et Baptiste Françon
Si l’on s’attarde maintenant sur le taux de remplacement, c’est-à-dire au rapport entre l’allocation et le salaire précédant la perte d’emploi, le Danemark est le seul pays à maintenir presque entièrement le niveau de vie de ses chômeurs. Dit autrement, un chômeur danois touche des indemnités équivalentes à 90 % de ce qu’il touchait dans son job précédent. Pour la France, ce taux de remplacement est de 57 %, et dépend de l’âge et des revenus de l’individu. C’est moins qu’en Allemagne, en Espagne ou encore aux Pays-Bas.
Toutefois, beaucoup des pays européens disposent de forfait, de taux intermédiaires et dégressifs avec l’allongement de la durée d’indemnisation (« plus le temps passe, plus l’alloc baisse »). Dans tous les cas, rappellent Jean-Marie Pillon et Baptiste Françon, « même si le taux de remplacement est variable d’un pays à l’autre, il ne remplace jamais totalement le salaire perdu ». Ou dit plus clairement : une personne ne gagne jamais plus en étant au chômage que lorsqu’elle travaille.
Championne des contrats courts
Un « système généreux », cela pourrait aussi vouloir dire qu’un pays distribue des allocs à tout-va, de manière quasi inconditionnelle. Là encore, c’est une idée fausse. Tous les pays disposent de conditions d’éligibilité. Et au final, beaucoup de privés d’emploi sont exclus du système.
Le système actuel d’assurance chômage exclut les jeunes qui ne sont pas encore entrés sur le marché du travail ou les femmes qui ont subi de longues interruptions dans leur carrière
Moins de la moitié des chômeurs français perçoivent des indemnités car ils ne remplissent pas toutes les conditions nécessaires pour y avoir droit. C’est lié au caractère contributif présent dans tous les systèmes d’assurance chômage : il faut avoir cotisé (ou travaillé), un certain temps, sur une période précise pour pouvoir être éligible à des allocations. Cela exclut donc les jeunes qui sortent d’école et qui ne sont pas encore entrés sur le marché du travail ou les femmes qui ont subi de longues interruptions dans leur carrière.
Cette logique contributive peut également pénaliser les personnes qui ont occupé des contrats courts et hachés, puisqu’elles peuvent plus difficilement atteindre la durée de travail nécessaire pour prétendre au chômage. Sachant que la France se caractérise par un recours important à des contrats courts de très faible durée. Par ailleurs, 50 % des demandeurs d’emploi indemnisables touchent de faibles montants, car ils occupent un job en parallèle de leur recherche d’emploi.
La France, aussi peu généreuse que les autres
En termes de conditions d’accès aux allocations chômage, il faut avoir travaillé six mois au cours des vingt-quatre derniers mois pour toucher une indemnisation en France. C’est plus court qu’en Allemagne, en Espagne ou en Italie, qui affichent une période de référence de travail plus longue, mais moins qu’en Suède ou aux Pays-Bas. L’Hexagone se situe donc toujours dans une position médiane par rapport aux autres pays du classement réalisé par Pillon et Françon.
Des paramètres très variables d’un pays à l’autre
Condition d’affiliation minimale, période de référence et durée d’indemnisation maximale, en mois (choisissez l’indicateur souhaité dans le sélecteur ci-dessous)



Source : Unédic et Cleiss, via Jean-Marie Pillon et Baptiste Françon
Enfin, la durée d’indemnisation maximale est plus longue en France (dix-huit mois) qu’au Royaume-Uni ou en Pologne (six mois seulement), mais plus courte qu’en Italie, aux Pays-Bas, en Espagne ou au Danemark. Ce qui place encore une fois l’Hexagone à un rang intermédiaire.
En définitive, après avoir passé en revue les différents critères des systèmes d’assurances chômage, la France est aussi radine avec ses demandeurs d’emploi que ses voisins européens.
Source : https://www.alternatives-economiques.fr/france-vraiment-plus-genereuse-autres-pays-chome/00115892