La question : Est-ce la fin du boom de l’apprentissage ?

Pour la première fois depuis 2017, les effectifs d’apprentis devraient commencer à baisser cette année. Sans parler d’effondrement, la tendance pourrait être amplifiée par de nouvelles mesures d’économies.

Par Catherine Abou El Khair

Une fois de plus, l’apprentissage est dans le viseur du plan d’économies du gouvernement. Après de premiers coups de rabot en 2025, l’exécutif va faire les poches des apprentis l’an prochain. Le projet de loi de finances 2026 prévoit de supprimer l’aide de 500 euros pour le passage de leur permis de conduire, et de rétablir les cotisations salariales dont ils étaient jusqu’ici partiellement exonérés, soit une « baisse de revenu de 101 à 187 euros net par mois », dénonce l’Association nationale des apprentis de France (Anaf).

Et ce n’est pas tout. Sur le papier, la copie budgétaire du gouvernement envisage des coupes importantes sur les aides à l’embauche d’apprentis versées aux employeurs. S’élevant à 2,16 milliards d’euros, les autorisations d’engagement de crédits pour 2026, c’est-à-dire la limite supérieure de nouvelles dépenses de l’Etat, reculeraient de 30 % par rapport à 2025. Et de 43 % par rapport à 2024 !

De quoi mettre K.O l’apprentissage, dopé aux subventions (pas forcément bien ciblées vers les publics qui en ont le plus besoin et qui ont généré des effets d’aubaine, comme ont pu le démontrer de nombreuses études) ?

Le sujet des aides pour l’apprentissage n’échappera pas au lobbying des organisations d’employeurs représentant les petites et moyennes entreprises

Pas si vite. S’en tenant à une enveloppe globale, le gouvernement n’a pas encore dévoilé le montant et les conditions de la future aide individuelle. Le sujet n’échappera pas au lobbying des organisations d’employeurs représentant les petites et moyennes entreprises et à leurs différents relais politiques.

Par ailleurs, l’ampleur des économies affichées dans le projet de loi de finances devrait être relativisée, selon l’économiste spécialiste de l’apprentissage Bruno Coquet. Le chiffrage des aides aux employeurs « ne contraint pas le nombre d’entrées en apprentissage, qui sont financées sans limite », souligne-t-il.

Et même en prenant au sérieux cette ligne budgétaire, « la contraction des autorisations d’engagement [la limite maximum des dépenses pouvant être engagées par l’Etat, NDLR.] n’est pas aussi prononcée qu’elle n’en a l’air », selon ses calculs. Car, à ses yeux, l’estimation du coût budgétaire réel de ces aides tend à être surévaluée :

« Le PLF 2026 prévoyant le même nombre d’entrées en apprentissage qu’en 2025, les autorisations d’engagement de 2026 auraient dû s’élever à environ 2,7 milliards d’euros, au lieu des 2,16 inscrits dans le bleu budgétaire. »

Une baisse plutôt modérée en 2025

Il n’empêche que les « années folles » de l’apprentissage sont révolues. En 2025, l’Insee évalue la destruction d’emplois d’apprentis à 65 000. C’est essentiellement dû aux mesures d’économies frappant le secteur dès cette année.

« L’emploi en alternance des jeunes est moins lié à la conjoncture qu’aux politiques de l’emploi », considère Yves Jauneau, responsable de la division synthèse et conjoncture du marché du travail à l’Insee.

La loi de finances adoptée en février 2025 a réduit l’aide de 6 000 à 2 000 euros pour les employeurs de plus de 250 salariés, et à 5 000 euros pour les entreprises en dessous de ce seuil. S’y sont ajoutés 750 euros de reste à charge pour tous les employeurs dont les recrues visent un diplôme de niveau 5 (bac +3) à 7 (bac +5).

Apprentissage : le nombre d’entrées devrait baisser dès cette année

Nombre d’entrées en apprentissage dans le public et le privé entre 2018 et 2024

Sur le papier, ces coupes ne sont pas anodines : l’enveloppe correspondante affichait déjà un recul de 17 %. Or, les effets sur les volumes anticipés ne sont pas du même ordre. Le repli envisagé par l’Insee n’est que de 3 %, et dans ses prévisions pour 2025, le gouvernement table lui aussi sur une baisse de 4 %, soit 850 000 entrées dans les secteurs privé et public en 2025. Le Medef avance pour sa part une « diminution potentielle de 5 à 10 % des entrées ».

En dépit d’une cure d’amaigrissement des aides, on est encore loin d’un gros retournement de la tendance

Pour autant, en dépit de cette cure d’amaigrissement qui commence, on est encore loin d’un gros retournement, même s’il faut attendre les derniers mois de l’année – c’est là que les centres de formation des apprentis font le plein – pour faire les vrais comptes.

Un coût qui reste « attractif »

Mais qu’en sera-t-il en 2026 ? Passer l’aide en deçà des 5 000 euros pour les PME – qui recrutent 78 % de tous les apprentis – marquerait un retour à la case départ ou une régression, selon les points de vue, par rapport à l’aide « unique » issue de la réforme de l’apprentissage de 2019, et réservée aux PME avant l’ouverture des vannes. L’aide s’élevait à 4 125 euros la première année, 2 000 euros la deuxième, et 1 200 euros la troisième… Le gouvernement ira-t-il jusque-là ?

S’il se décidait à tailler dans l’aide à l’emploi des apprentis du supérieur, leurs rémunérations minimales resteraient malgré tout « attractives » pour les employeurs : entre 21 et 25 ans, la rémunération mensuelle minimale s’élève à 53 % du Smic ou du salaire minimum conventionnel la première année, et 61 % la deuxième année.

Si le gouvernement taillait dans l’aide à l’emploi des apprentis du supérieur, leurs rémunérations minimales resteraient malgré tout attractives pour les employeurs

Plus inquiète sur l’effet combiné de la baisse des aides et de la conjoncture, la Fédération des directeurs de centres de formation d’apprentis (Fnadir) espère tout de même que les entreprises maintiendront leur effort pour d’autres raisons. Difficile pour eux d’ignorer la demande d’apprentissage désormais bien installée parmi les jeunes.

« J’ose penser que depuis cinq ou six ans, certaines entreprises ont été acculturées à l’apprentissage et qu’elles auront pleinement investi leur mission de formation », ajoute leur délégué, Alban Margueritat.

Hausse de l’inactivité

Et le chômage des jeunes dans tout ça ? « L’Etat a notamment subventionné les employeurs pour qu’ils prennent des apprentis, ce qui a enrichi la croissance en emploi. Les entreprises ont donc embauché plus grâce aux aides à l’apprentissage, alors que la croissance était faible », rappelait dans nos colonnes l’économiste Eric Heyer, de l’OFCE.

Mais si le chômage des jeunes a globalement baissé, c’est aussi en partie du fait de la hausse des emplois hors alternance, selon l’Insee. Pas en proportion, donc, du boom de l’apprentissage… Pour l’institut de statistiques, il n’y a pas de lien tout à fait direct entre les deux.

«En signant un contrat, les alternants sortent plutôt d’une situation d’inactivité puisqu’auparavant, ils pouvaient déjà être en étude ou en formation», souligne Yves Jauneau.

A l’avenir, une baisse du nombre d’apprentis devrait donc se traduire « au premier ordre » par une hausse de l’inactivité. Autrement dit, les recalés de l’apprentissage pourraient poursuivre leurs études par d’autres moyens. Et ils seront aussi considérés comme « inactifs », le temps de trouver leur contrat…

Source : https://www.alternatives-economiques.fr/fin-boom-de-lapprentissage/00116643