Ce qu’il faut retenir du budget de la Sécu finalement adopté
L’Assemblée a adopté sur le fil un budget pour la Sécu rapiécé et insuffisant pour répondre aux besoins du système de protection sociale, mais fruit de larges compromis. Une étape décisive pour le gouvernement Lecornu.
Si le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2026 pouvait être mesuré en points de pénibilité, Sébastien Lecornu aurait certainement explosé son compteur personnel. Le 9 décembre dans la soirée, après trois mois de présence à Matignon, de nombreuses négociations avec les oppositions mais aussi avec les soutiens du gouvernement, le Premier ministre a réussi à faire voter, à treize voix près (247 voix pour, 234 contre et 93 abstentions) le budget de la Sécurité sociale.
Parmi les mesures adoptées, le nouveau congé de naissance de deux mois pour les parents – rémunéré à hauteur de 70 % le premier mois et de 60 % le suivant – a mis à peu près tout le monde d’accord. Ce n’est évidemment pas le cas des autres dispositions. Elles n’ont satisfait personne, mais ont permis de déboucher sur un compromis de bric et de broc adopté sans recours à l’article 49-3. Parmi les concessions accordées à l’aile gauche de l’Hémicycle, figurent notamment la suspension de la retraite à 64 ans, l’abandon du gel des retraites ou encore du doublement des franchises médicales.
Pour satisfaire le côté droit de l’Assemblée, hostile à toute hausse d’impôt, le gouvernement Lecornu a limité la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG) (+ 1,4 point) sur les revenus du capital. De nombreux produits d’épargne en seront exemptés. Quant aux arrêts de travail, jugés trop coûteux par la droite, leur durée maximale sera circonscrite à un mois pour une première prescription médicale (contre quinze jours dans le projet initial du gouvernement) et à deux mois pour une prolongation.
Le texte doit désormais repartir au Sénat, où il est question d’écourter les débats en le rejetant d’emblée, avant un retour prévu le 16 décembre à l’Assemblée qui aura le dernier mot et n’aura plus qu’à réitérer son vote. Cette adoption du PLFSS est une étape majeure pour Sébastien Lecornu mais le vote du budget de l’Etat, prévu pour la fin de l’année, s’annonce encore plus acrobatique. L’hypothèse d’une France dotée d’un budget de la Sécu, mais sans budget général n’est pas à exclure, ajoutant ainsi les situations inédites à l’incertitude ambiante.
1/ De nouvelles recettes… mais insuffisantes pour combler le déficit
Assécher les recettes de la Sécu puis dénoncer sa situation financière, voilà la mauvaise plaisanterie qui a eu cours depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron en 2017 à l’Elysée. Mais depuis la dissolution de l’Assemblée nationale en 2024, le gouvernement se retrouve contraint de faire des compromis, à l’image du totem de l’absence de hausse d’impôt, longtemps défendu haut et fort par Emmanuel Macron, mais qui tombe progressivement.
Le déficit de la Sécurité sociale devrait ainsi s’établir à 19,6 milliards d’euros en 2026, contre 23 milliards en 2025. Certes, une partie de l’effort est demandée, de manière directe ou indirecte, aux bénéficiaires de la protection sociale, et notamment aux malades. Mais l’exécutif a aussi consenti à augmenter les recettes pour contenir le déficit.
Le PLFSS prévoit une hausse de la CSG sur certains revenus du patrimoine. Mais de nombreux produits sont finalement exemptés
Parmi les nouvelles recettes, le PLFSS prévoit une hausse de la CSG sur certains revenus du patrimoine. Le Parti socialiste (PS) espérait 2,8 milliards d’euros de cette hausse. Mais face à la contestation de la droite, qui a dénoncé une mesure frappant les petits épargnants, de nombreux produits sont finalement exemptés (revenus fonciers, plus-values immobilières, produits des contrats d’assurance-vie, des plans épargne logement – PEL – et des plans d’épargne populaire). Seuls les intérêts et les dividendes sur les comptes-titres et les plans d’épargne en actions (PEA) seront désormais concernés par le passage du taux de CSG de 10,6 %, au lieu de 9,2 % actuellement. Recettes attendues : 1,5 milliard d’euros en 2026.
Le gouvernement a par ailleurs réussi à faire voter une taxe de 1 milliard d’euros sur les complémentaires santé (mutuelles, assurances et institutions de prévoyance). Elles se verront appliquer une hausse de 2,05 % de la taxe qui est déjà prélevée sur leurs cotisations perçues. Le PS, d’abord réticent, a fini par accepter la proposition. Il bataille encore pour faire voter un amendement qui imposerait le gel des tarifs des mutuelles en 2026. Mais quel que soit le résultat final, tout laisse penser que les mutuelles répercuteront tôt ou tard cette taxe sur les cotisations qu’elles prélèvent, et que la facture finale sera à la charge des assurés.
Le gouvernement communique par ailleurs sur le fait qu’il rapatrie 4,6 milliards d’euros de déficit de la Sécu dans le budget de l’Etat – et donc dans le futur projet de loi de finances (PLF) qui doit encore parcourir un marathon parlementaire. Le PLFSS précise que l’Etat va reprendre à sa charge 2,6 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales décidées par le passé mais qu’il n’avait pas compensées, laissant ce manque à gagner plomber les comptes de la Sécu. Pour le reste, le produit de la réforme des exonérations de cotisations sociales, prise par décret lors des derniers jours de François Bayrou à Matignon, ira bien à la Sécu l’année prochaine. 2 milliards supplémentaires d’euros sont attendus à ce titre.
2/ La réforme Borne sera bel et bien décalée
C’est sans nul doute « la » mesure qui a été centrale lors des discussions sur le budget de la Sécu : le décalage ou la suspension de la réforme de 2023 qui a acté l’allongement progressif de l’âge de départ en retraite de 62 à 64 ans et accéléré la durée de cotisation nécessaire pour un départ à taux plein (172 trimestres requis pour la génération de 1965 et non plus pour celle de 1968).
Avec ce PLFSS 2026, le gouvernement met sur pause l’application de ces mesures jusqu’à la prochaine présidentielle. La mesure devrait concerner près de 3,5 millions de personnes (les générations nées de 1964 à 19681) et devrait coûter, selon le gouvernement, 400 millions d’euros en 2026 et 1,8 milliard en 2027. Si le montant n’est pas considérable au regard du déficit annoncé par l’exécutif à l’issue de ce vote (19,6 milliards), l’enjeu des retraites est surtout politique. Et il a profondément divisé les camps politiques et syndicaux.
Certains, au PS ou à la CFDT, y voient une digue qui saute, Emmanuel Macron ayant fait jusqu’alors de sa réforme de 2023 un totem. Pour d’autres, comme La France insoumise (LFI) ou la CGT, il s’agit d’un décalage de l’application de la réforme, un simple changement de calendrier. La philosophie n’est pas remise en question soulignait dans nos colonnes l’économiste Michaël Zemmour, et si rien n’est fait à l’issue du scrutin présidentiel de 2027, la réforme reprendra sa montée en charge.
Quant à la droite, elle reste profondément divisée sur la question. Alors qu’Elisabeth Borne déclarait elle-même le 30 novembre qu’elle ne voterait pas la suspension d’une réforme qu’elle jugeait nécessaire, Renaissance, le Modem et Liot ont fini par largement approuver le budget de la Sécurité sociale. Horizons et Les Ecologistes se sont majoritairement abstenus, le Rassemblement national, les ciotistes, LFI et les communistes ont voté contre. Les Républicains, enfin, se sont fracturés avec 18 votes pour, 3 contre et 28 abstentions.
Le PLFSS prévoit de réduire la période de référence pour le calcul des pensions de retraite des mères. Mais cela représenterait une amélioration de 1 % seulement
Au chapitre des retraites, d’autres points sont présentés comme des avancées par l’exécutif, au sujet des retraites des femmes. Reflet des inégalités qu’elles ont rencontrées tout au long de leur carrière, leurs pensions restent en effet inférieures à celles des hommes. Dans ce PLFSS, il est question de baser le calcul de la pension des mères sur les 23 ou 24 meilleures années, selon leur nombre d’enfants, au lieu de 25 ans aujourd’hui.
L’idée de réduire la période de référence va dans le bon sens, mais le faire avec un ou deux ans de moins est loin d’être suffisant pour réellement réduire les écarts. Lors du conclave sur le sujet cet automne, les évaluations estimaient que la mesure représenterait une amélioration de 1 % des pensions des femmes seulement. Le dispositif exclura les plus précaires qui n’affichent pas de carrière complète et celles qui perçoivent la pension minimum puisque le minimum contributif (Mico) absorbera la nouvelle majoration.
Le PLFSS prévoit également de prendre en compte deux trimestres de majoration de durée d’assurance (MDA) pour enfants dans le dispositif de départ anticipé pour carrière longue (RACL). Le problème étant qu’il est nécessaire d’afficher une carrière complète pour pouvoir bénéficier du mécanisme, ce qui exclut beaucoup de femmes dont la carrière est hachée.
Un trimestre de bonification pour chaque enfant né à partir de 2004 a enfin été introduit par le gouvernement pour les mères fonctionnaires. Une majoration qui compte pour la durée d’assurance, mais pas pour la liquidation de la pension. Les fonctionnaires continuent donc de bénéficier de moins de majoration de trimestres pour enfants que les salariées du privé.
Enfin, pour faire des économies, le gouvernement a choisi de restreindre, à partir de 2027, le dispositif permettant un cumul emploi-retraite, pourtant assoupli par la réforme Borne. Jusqu’à présent, un actif qui remplissait les conditions du taux plein (âge légal et trimestres requis) au moment de liquider ses droits pouvait intégralement cumuler sa pension et ses revenus d’activités. Il lui faudra désormais attendre ses 67 ans pour pouvoir le faire. Avant cet âge, le cumul sera plafonné. Des dispositions particulières ont été prévues pour les agriculteurs, mais l’intérêt du dispositif est largement amoindri pour la plupart de ceux qui auraient pu y recourir.
3/ Le pire évité pour la santé
En matière de santé, le pire a été évité. Les franchises médicales et participations forfaitaires, dont le montant et le plafond devaient être doublés dans le projet initialement présenté par le gouvernement, ont finalement été remisées. Le gouvernement y a renoncé. C’est une excellente nouvelle pour les assurés, tant la mesure est injuste et sape les fondements même de la Sécurité sociale puisqu’elle casse la solidarité entre malades et bien portants, en faisant payer directement les malades. Cela dit, si le gouvernement a reculé dans le cadre des discussions budgétaires, rien ne l’empêche à l’avenir d’adopter cette mesure par décret.
Autre soulagement de taille, le niveau de l’Ondam, l’objectif national des dépenses d’assurance maladie. Sa progression annuelle était prévue à 1,6 % pour 2026. Une revalorisation historiquement basse, qui aurait représenté un tour de vis insupportable pour l’hôpital public, qui fait par ailleurs face à un niveau de déficit inédit, à 3 milliards d’euros en 2024. Une première rallonge de 850 millions d’euros pour les hôpitaux et 150 millions pour les Ehpad a été annoncée par le gouvernement, et c’est finalement un Ondam à 3,1 % qui a été voté, soit un budget pour l’assurance maladie de 274,4 milliards d’euros, contre 265,9 milliards d’euros en 2025.
C’est moins dommageable, mais ça ne résout rien : l’augmentation est inférieure à l’augmentation tendancielle des dépenses de santé, de l’ordre de 4 % par an, sous l’effet à la fois du vieillissement de la population et de l’inflation. Aucune visibilité pluriannuelle non plus dans ce budget, alors qu’elle est demandée de longue date par les hospitaliers notamment.
Des pistes d’économies sérieuses ont été abandonnées. Le gouvernement a de nouveau cédé face aux médecins libéraux
Des pistes d’économies sérieuses ont par ailleurs été abandonnées. Le gouvernement a de nouveau cédé face aux médecins libéraux. Il avait envisagé de fixer des tarifs médicaux pour limiter la rentabilité excessive de certaines spécialistes (radiothérapie, imagerie médicale…), mais a finalement laissé tomber l’idée, y compris dans sa version la moins contraignante qui renvoyait les professionnels à une négociation collective.
Au titre des renoncements se trouve aussi l’étiquetage obligatoire du Nutriscore sur les emballages alimentaires. Ce système qui permet d’indiquer rapidement la valeur nutritionnelle d’un aliment fait l’objet d’un intense lobbying de l’industrie agro-alimentaire à son encontre.
Si le pire est évité, la logique d’ensemble ne change pas : l’exécutif organise la mise en déficit de la Sécu, du service public de santé notamment, en ne prévoyant pas de recettes suffisantes face à des besoins qui augmentent.


