L’arsenal des sanctions contre les chômeurs s’alourdit encore

Un nouveau décret publié dans le cadre de la loi pour le plein-emploi ajoute des sanctions à destination des demandeurs d’emploi, et accorde un pouvoir plus important aux conseillers de France Travail.

Pour remettre les chômeurs sur les rails de l’emploi, rien de tel qu’un petit coup de pression, semble croire le gouvernement, qui n’a cessé de réformer l’assurance chômage et d’étoffer son catalogue de sanctions.

Le premier volet de la loi pour le plein-emploi avait déjà obligé les bénéficiaires d’allocation ou de prestation d’accompagnement social et professionnel de s’inscrire sur les listes de demandeurs d’emploi. Le texte avait aussi conditionné le RSA (revenu de solidarité active) à 15 heures d’activité. Le 31 mai marque une nouvelle étape avec la publication d’un décret au journal officiel.

Le texte a pour objectif de « rénover le barème de sanctions applicable aux demandeurs d’emploi en cas de manquement relatif à leur contrat d’engagement, explique Catherine Vautrin, ministre du Travail, dans un communiqué. Il incarne un équilibre entre droits et devoirs ». Sauf que, la balance penche davantage du côté du bâton…

Durcissement des sanctions

Concrètement, si le demandeur d’emploi affiche un manquement aux obligations dictées par son « contrat d’engagement », et qu’il ne réalise pas « des actes positifs et répétés en vue de trouver un emploi », il pourra être sanctionné. Comment ? « Par la suspension d’au moins 30 % » de ses allocations – cela pourra donc aller au-delà – et pour une durée d’un à deux mois dans le cas d’un premier manquement. Cette interruption pourra être prolongée jusqu’à quatre mois, en cas de « récidive » de manquement du privé d’emploi.

Ce dispositif, que le gouvernement nomme « suspension-remobilisation », incarne pour Tristan Pellerin, doctorant en droit de la protection sociale à l’Université de Rennes, un profond remaniement des barèmes et de la procédure de sanctions :

« Le décret fixe des planchers et des fourchettes. Mais par rapport aux règles précédentes, celles-ci pourraient être défavorables aux demandeurs d’emploi. »

Jusqu’alors, en cas de premier manquement, un chômeur absent à un rendez-vous pouvait être radié pendant un mois de la liste des demandeurs d’emploi, sans suppression de ses allocations. Avec le décret, ce sera une suspension d’au moins 30 % donc, pour une durée d’un à deux mois. En cas de refus d’offre raisonnable d’emploi (ORE), le barème des pénalités sera également doublé.

« Il est clair qu’avec ce décret, on assiste à un durcissement des sanctions », analyse ainsi le chercheur.

Le risque d’une spirale infernale

Mais ce texte représente aussi un changement de paradigme. Ou du moins, une nouvelle priorité des sanctions. La radiation des listes intervient en effet moins souvent qu’auparavant :

« Le décret prévoit grosso modo la radiation pour les personnes qui ne bénéficient pas des allocations, détaille Laure Camaji, maître de conférences en droit de la protection sociale. C’est la suspension de l’allocation qui arrive au premier plan des sanctions possibles. »

Plusieurs syndicats et associations y voient le risque que les demandeurs d’emploi s’appauvrissent et particulièrement les plus fragiles.

« La suspension de l’allocation est une privation de ressources, déplore Sophie Rigard, chargée du plaidoyer au Secours catholique. On a l’impression que France Travail peut suspendre ou reprendre les versements rien qu’en appuyant sur un bouton. »

Même alerte du côté de la CGT : « Les allocataires du RSA qui vivent par définition sous le seuil de pauvreté peuvent se voir suspendre tout ou partie de leurs seuls revenus pendant un mois, deux mois, quatre mois, ou plus, au risque de les plonger dans une spirale infernale : surendettement, problèmes de santé, etc. »

Qui plus est, « les conditions du rétablissement de l’allocation sont décrites dans le décret mais restent très vagues, déplore la CFTC, par la voix d’Audrey Iacino, conseillère technique. C’est réglementaire pourtant, ce devrait au moins être aussi clair que pour les modalités de suspension ».

France Travail tout-puissant ?

Suspendre, supprimer ou rétablir l’allocation ? Ce sera au conseiller de décider, et encore plus qu’avant ! « Le décret marque un renforcement du rôle de l’opérateur France Travail dans la nouvelle procédure », reprend Tristan Pellerin. En clair, le texte fixe des planchers et des fourchettes, mais les agents de France Travail pourront décider du montant de l’allocation qui sera suspendue, ainsi que de la durée de l’interruption.

Or, sur quelles bases établir une échelle des sanctions si les consignes ne sont pas explicites ? Comment être sûr que les demandeurs d’emploi seront traités de manière égalitaire ? Laure Camaji dresse un parallèle d’un point de vue juridique :

« Avec ce nouveau décret, on bascule dans un régime qui est proche du droit pénal, où la sanction est censée être proportionnée au “manquement” repéré, sans que ce soit défini par les textes. »

Pour le même manquement à son contrat d’engagement, un demandeur d’emploi pourra être sanctionné différemment d’un conseiller à l’autre. Ce sera au bon vouloir de son appréciation.

Il ne suffit plus de chercher un travail, il est question d’assiduité, de participation active, d’attitude

Cela s’inscrit dans la continuité de ce que l’économiste Anne Eydoux nomme « l’extension du domaine de l’activation ». Avec la loi pour le plein-emploi, les agents de France Travail sont de plus en plus encouragés à apprécier la recherche d’emploi des chômeurs de manière « globalisée » : il ne suffit plus de chercher un travail, il est question d’assiduité, de participation active, d’attitude.

« Des critères difficilement objectivables, pour ne pas dire arbitraires, font courir un risque de traitement de plus en plus différencié et potentiellement inégalitaire des demandeurs d’emploi », précise Luc Sigalo Santos, maître de conférences en science politique.

Le problème, « c’est que la fourchette est quand même très large entre une suppression de 30 % et 100 % de l’allocation », complète Laure Camaji. Selon elle, cet élément pourrait donc être inclus dans un éventuel recours pour « excès de pouvoir » devant le Conseil d’Etat.

Il est prématuré de savoir ce que feront les conseillers de France Travail. Pour l’heure, ce qui ressort des témoignages est une impréparation générale. « De la même manière que rien n’était prêt pour le passage au RSA conditionné, les agents et agentes nous disent qu’aucun outil n’a été préparé pour la mise en œuvre de ce décret, indique Claire Vivès, sociologue au Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET). L’idée est d’y aller à marche forcée »

Source : https://www.alternatives-economiques.fr/larsenal-sanctions-contre-chomeurs-salourdit/00115164

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