Le bonus-malus sur les contrats courts fonctionne-t-il ?
La modulation du taux de cotisation des employeurs à l’assurance chômage en fonction de leur recours aux contrats courts sera reconduite. Mais une nouvelle négociation devrait améliorer son efficacité, aujourd’hui limitée.
Payer plus de cotisations patronales quand on abuse des contrats courts et moins quand on est vertueux, voilà en substance la philosophie du bonus-malus appliqué depuis trois ans. Considérée comme la contrepartie côté employeurs, des tours de vis opérés sur les chômeurs, cette politique du bâton est-elle efficace ?
Dans les sept secteurs d’activité jusqu’ici soumis à ce système de modulation des cotisations, « le nombre de fins de contrat a baissé en moyenne de 8 % entre 2023 et 2024 », mais cette baisse « n’est pas forcément imputable à ce dispositif », conclut l’Unédic dans ses Premiers résultats d’évaluation du bonus-malus publiés en mars dernier. On a connu des bilans plus enthousiastes.
Les syndicats de salariés en conviennent bien volontiers : ces résultats, qui confirment leurs réticences à l’égard de la mesure, ne sont pas vraiment probants.
« Le mécanisme du bonus-malus en lui-même comporte des imperfections manifestes, estime la CFTC. A titre d’exemple, certaines entreprises déjà très consommatrices de contrats courts le sont restées. Elles ont, en somme, intégré structurellement leur recours à ces contrats (…) et le malus n’a pas été suffisant pour les inciter à changer. »
« Ce système n’a pas fait la preuve de son efficacité », abonde la CFDT. « Il se révèle inefficace pour lutter contre l’abus de contrats courts », confirme FO. Ces trois organisations de salariés ont toutefois signé le compromis trouvé le 27 mai dernier (la CGT et la CFE-CGC ne sont pas signataires) : après trois séances de négociation, les partenaires sociaux ont décidé de reconduire ce dispositif dont les nouvelles modalités entreront en vigueur en avril 2026.
Mais avant cette échéance, ils se sont engagés à ouvrir une nouvelle négociation sur les contrats courts, d’ici à la fin de l’année.
Les trois organisations patronales (le Medef, la CPME et l’U2P) parapheront également cet avenant à l’accord sur l’assurance chômage de novembre 2023, bien qu’elles aient toujours manifesté leur opposition à ce dispositif, tentant même, tout au long de la négociation, de le vider de sa substance. Elles ont ainsi obtenu que les fins de contrats saisonniers et les licenciements pour faute grave, lourde ou pour inaptitude d’origine non professionnelle ne soient plus pris en compte.
De plus, le secteur du travail du bois, des industries du papier et de l’imprimerie a été retiré de la liste : il ne reste donc plus que six secteurs d’activité exposés au bonus-malus. En revanche, les syndicats de salariés ont refusé que le seuil au-delà duquel une entreprise est exposée au bonus-malus soit ramené de 150 % de taux de séparation – soit 150 ruptures ou fins de contrat rapporté à un effectif de 100 personnes – à 120 %, comme le souhaitait le patronat.
Davantage de carotte que de bâton
Ce taux de séparation détermine le montant du bonus ou du malus s’appliquant à leur taux de cotisation à l’assurance chômage. Attention, le dispositif n’est pas simple. Il repose sur deux données clés : le taux de séparation médian du secteur d’activité et le taux de cotisation pivot de 4,05 %.
Le taux de séparation de chaque entreprise est comparé au taux médian de son secteur d’activité de sorte que la moitié de la masse salariale du secteur (dont le taux de séparation est supérieur à la médiane) est soumise à un taux de contribution supérieur ou égal au taux pivot et l’autre moitié à un taux inférieur. Concrètement, les mauvais élèves voient leurs cotisations grimper de 4,05 % à 5,05 % maximum et celles des bons éléments sont réduites de 4,05 % à 3 %.
Au plan financier, les surcontributions versées au titre de malus par les entreprises abusant des contrats courts (298 millions d’euros en 2024) sont à peu près équivalentes aux bonus accordés aux entreprises plus vertueuses (285 millions d’euros).
Mais si l’on s’intéresse au nombre d’entreprises concernées, comme l’a fait la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du Travail) en 2024, on se rend compte que 64 % d’entre elles ont bénéficié d’un bonus (dont 60 % au taux plancher de 3 %) et 36 % ont été sanctionnées par un malus (dont plus des trois quarts au taux plafond de 5,05 %).
« C’est toute la vertu de ce dispositif, estime Alexandra Roulet, économiste du travail. Les employeurs s’y sont opposés en considérant qu’il allait alourdir le coût du travail. Mais en réalité, il y a davantage d’entreprises dans le bonus que dans le malus : c’est donc un jeu à somme positive. »
La Dares a pris bien des précautions en présentant ces résultats « qui ne peuvent constituer une évaluation en tant que telle » au motif qu’en 2023, ce dispositif n’a concerné que 18 000 entreprises de onze salariés et plus (contre 30 000 en 2024) « du fait d’exemptions accordées à certaines conventions collectives en raison de la crise du Covid ».
Mais pour Alexandra Roulet,il est important de reconnaître que pour certains recrutements, « il y a un problème de comportement des entreprises ». Non seulement elle est favorable à une extension de ce dispositif à l’ensemble des secteurs d’activité, mais elle le verrait bien être décliné à d’autres sujets tels que l’emploi des seniors qui demeure très faible dans l’Hexagone.
Il est néanmoins possible d’améliorer le système, en le simplifiant pour le rendre plus lisible, par exemple. Ou en modulant davantage le taux de cotisation à l’assurance chômage :
« En 2023 et 2024, plus de 80 % des séparations (…) sont portées par des entreprises qui se situent au plafond de 5,05 % de cotisation », note l’Unédic.
Avec un plafonnement du taux de cotisation dont le niveau est assez bas, ces entreprises n’ont aucune incitation à repenser leurs pratiques
Certaines de ces entreprises ont un taux de recours aux emplois courts particulièrement élevés : 1 270 % pour les services de traiteurs, 560 % pour la collecte de déchets non dangereux, 440 % pour la fabrication de pain et de pâtisserie fraîche… Avec un plafonnement du taux de cotisation dont le niveau est en outre assez bas, ces entreprises n’ont aucune incitation à repenser leurs pratiques. C’est l’un des sujets qui sera sur la table de la nouvelle négociation sur les contrats courts.
A l’heure où le gouvernement cherche à doper le taux d’emploi pour « sauver » le régime des retraites tout en annonçant une nouvelle réforme qui devrait durcir les conditions d’accès des demandeurs d’emploi à l’assurance chômage, le sujet mérite en effet d’être creusé.
Source : https://www.alternatives-economiques.fr/bonus-malus-contrats-courts-fonctionne-t/00115693 – Par Sabine Germain