Le conclave sur les retraites a-t-il servi à quelque chose ?

Les nombreuses propositions mises sur la table par les partenaires sociaux peuvent-elles, malgré l’échec du conclave, trouver un débouché parlementaire ? La balle est désormais dans le camp de Matignon.

A l’issue d’une petite vingtaine de réunions (on a perdu le fil exact) étalées sur plus de quatre mois, patronat et syndicats ont fini par jeter l’éponge tard dans la soirée du 23 juin, ou plus précisément se sont renvoyé l’éponge à la figure, chacun reprochant à l’autre l’échec du conclave sur les retraites initié par François Bayrou.

Dès le lendemain, le Premier ministre a refusé que les dernières organisations n’ayant pas quitté la table des discussions (CFDT, CFTC, CFE-CGC, Medef et CPME) aient trébuché « si près du but » et les a reçues l’une après l’autre à Matignon. Le Premier ministre se sent-il lui-même si près de la sortie ?

Rien n’a filtré de ses intentions après ces ultimes réunions, mais François Bayrou semble toujours espérer trouver une « voie de passage » dont on devrait connaître les détails jeudi en fin d’après-midi. L’avenir dira donc quel sort le gouvernement donnera aux propositions avancées par les partenaires sociaux. Après tout, rien n’empêche l’exécutif de reprendre à son compte les termes d’un accord inachevé et de le présenter au Parlement.

Parier sur le fait que la retraite à 64 ans aura raison (ou non) du poste de François Bayrou et s’avancer sur le ballet de motions de censure qu’elle entraînera est sans doute hasardeux. Les insoumis, les socialistes et les écologistes entendent très vite voter la censure, quand le RN empêtré dans les affaires d’inéligibilité de Marine Le Pen a déclaré vouloir reporter le sujet des retraites pour la présidentielle de 2027, ce qui ne ferait donc pas tomber le gouvernement dans l’immédiat. Mais avant même de connaître le résultat des courses, il est déjà possible de compter les perdants tombés au champ d’honneur au petit matin du 24 juin.

A commencer par les millions de personnes descendues dans la rue pour dire leur refus de travailler plus longtemps. L’abrogation pure et simple des 64 ans ayant été écartée des discussions, les organisations syndicales ont entrepris de détricoter la réforme de l’intérieur et d’arracher des améliorations pour les futurs retraités. Un consensus semblait s’être dégagé sur un âge d’annulation de la décote ramené de 67 ans à 66 ans (pour un coût estimé par l’assurance retraite à 1,2 milliard d’euros à l’horizon 2030 et à 5,5 milliards en 2045), voire, en toute fin de conclave, à 66,5 ans plutôt.

Les partenaires sociaux se sont mis d’accord pour mieux prendre en compte la maternité. Ils proposaient ainsi de calculer la pension des femmes ayant acquis des trimestres pour enfants sur les 24, voire les 23 meilleures années et non pas sur les 25 comme aujourd’hui, et ce dès le deuxième enfant. Semblait également acquis le principe d’un maintien de la surcote parentale. Ce dispositif avait été mis en place lors de la réforme de 2023 pour ne pas léser les femmes ayant atteint le taux plein dès 63 ans mais tenues de travailler « à perte », c’est-à-dire sans pouvoir surcotiser, jusqu’à 64 ans.

La pénibilité a (encore) entériné le blocage

Dernier point important de ce conclave, les négociateurs sont convenus de réintégrer trois critères de pénibilité supprimés en 2017… mais sous conditions. Actuellement, les salariés exposés à six autres facteurs de pénibilité peuvent engranger des points sur leur compte professionnel de prévention (C2P) pour se former, se reconvertir mais aussi partir plus tôt en retraite.

Toutefois, pour les trois critères réintégrés, le patronat n’a voulu réserver ce droit qu’à la formation et la reconversion, et pas aux départs anticipés. La prévention oui, la réparation non, a-t-il défendu en substance. Il a tout de même consenti à ce que les salariés puissent partir plus tôt, mais seulement sur avis médical. En d’autres termes, ces derniers ne peuvent faire valoir leurs droits à la retraite que s’ils font la démonstration qu’ils sont déjà cassés par le travail. Une « ligne rouge » que les organisations syndicales n’ont pas voulu franchir.

La pénibilité a contribué à faire capoter le conclave. La prévention oui, la réparation non, a défendu le patronat en substance

C’est donc la pénibilité qui a largement contribué à faire capoter le conclave. Et cela confirme un invariant : depuis la réforme de 2003 sur les retraites qui imposaient aux partenaires sociaux de s’emparer du sujet de l’usure des corps, la pénibilité est la mère des batailles pour le patronat. Et il a remporté pas mal de manches. Avec les mêmes arguments : retracer les expositions à la pénibilité tout au long d’une carrière est une « usine à gaz » mais surtout elle peut coûter très cher aux employeurs.

En dépit d’un fonds spécifique dédié à l’usure professionnelle (FIPU) entré en vigueur le 1er septembre 2023, la prévention reste un impensé dans la majorité des entreprises. Les carreleurs, aides-soignantes et autres métiers éreintants – soit, selon la CFDT, 2 à 4 millions de travailleurs concernés par les postures pénibles, le port de charges lourdes et les vibrations mécaniques –, devront prendre leur mal en patience.

Le dialogue social ne sort pas non plus grandi de cet épisode. Sans mobilisation de la rue et sans intersyndicale, il montre qu’il est voué à l’impasse. Cette issue négative enterre au passage la possibilité, un temps évoqué, d’une gestion paritaire de l’assurance retraite. Pourquoi confier les clés du camion à des organisations syndicales et patronales qui s’écharperont sur le chemin à prendre ?

La mise à contribution des retraités reste probable

Paradoxalement, les partenaires sociaux étaient pourtant parvenus à s’entendre sur un mode de financement des retraites de base. Ils se sont d’une certaine manière rapprochés des règles de gestion du régime de retraite complémentaire Agirc-Arrco qu’ils pilotent ensemble, et qui reposent sur une « règle d’or » consistant à toujours rester à l’équilibre.

Afin de combler un déficit estimé à 6,5 milliards en 2030, ils avaient envisagé de restreindre l’accès aux carrières longues. Mais l’essentiel des économies (près de 6 milliards) devaient provenir de la sous-indexation des pensions de base (elles n’auraient été revalorisées que de 0,8 % en 2026 pour une inflation prévue à 1,6 %, puis, chaque année jusqu’en 2030, de 0,4 point de moins que l’inflation) et d’un relèvement de deux des trois taux de CSG payés par les retraités (qui atteignent aujourd’hui 6,6 % et 8,3 %, le taux de CSG dont s’acquittent les salariés étant fixé à 9,2 % de leurs revenus d’activité).

S’il faut désigner un seul gagnant dans ce grand gâchis, c’est sans doute le patronat qui n’a pas à participer à l’effort collectif pour préserver le régime des retraites

Cette large mise à contribution des pensionnés, qui paient en réalité seuls la totalité de l’effort demandé, est un véritable sujet de débats. Elle acte au passage une concession majeure de la CFDT qui jusque-là n’entendait pas autant solliciter les retraités. Mais elle montre surtout que c’est la seule voie qui reste, une fois que les autres leviers – augmentation des cotisations patronales et salariales – sont balayés d’un revers de la main.

Cette solution fera-t-elle partie de la « voie de passage » que François Bayrou appelle de ses vœux ? Elle est en tout cas périlleuse pour un exécutif chargé de la faire voter lors du budget de la Sécu. Michel Barnier s’en souvient. Son gouvernement était tombé suite à sa volonté de décaler de six mois la revalorisation des pensions.

En attendant une séquence qui sera très politique, ce n’est plus l’affaire des partenaires sociaux qui savaient dès le départ que les chances d’aboutir étaient bien minces. S’il faut désigner un seul gagnant dans ce grand gâchis, c’est sans doute le patronat. Pour l’heure, il n’a pas à participer à l’effort collectif pour préserver le régime des retraites. La réforme Borne de 2023 lui allait. Elle lui va toujours.

Source : https://www.alternatives-economiques.fr/conclave-retraites-a-t-servi-a-quelque-chose/00115344?utm_source=emailing&utm_medium=email&utm_content=25062025&utm_campaign=quotidienne