Un emploi à tout prix : la réforme de 2019 pousse les chômeurs vers la précarité

Plusieurs travaux d’évaluation de la réforme de l’assurance chômage de 2019-2021 constatent qu’elle a contribué à accélérer la reprise d’emploi. Au détriment des contrats pérennes et de la qualité des jobs acceptés.

Par Sandrine Foulon

Absente, interrompue ou rendue superflue parce qu’en fait les décisions sont déjà prises… L’évaluation des politiques publiques est une culture qui a parfois du mal à prendre en France. La réforme de l’assurance chômage de 2019, progressivement mise en œuvre jusqu’en 2021, Covid oblige, coche la dernière case : son application a été décidée sans réelle étude d’impact mais elle a fini, a posteriori, par être auscultée sous toutes les coutures.

Il faut dire que la réforme initiée par Edouard Philippe et Muriel Pénicaud signe la première étape d’une série de durcissements sans précédent pour les demandeurs d’emploi. De manière inédite, elle a radicalement modifié le calcul du salaire journalier de référence (SJR) qui sert à déterminer le montant de l’allocation de retour à l’emploi (ARE), augmenté la durée de cotisation nécessaire pour accéder à une indemnisation (avoir travaillé six mois sur une période de vingt-quatre mois au lieu de quatre mois sur vingt-huit mois) et introduit une dégressivité des allocations pour les chômeurs de moins de 57 ans dont le salaire était supérieur à 4 800 euros. Le but était très clair : accélérer le retour à l’emploi.

D’autres changements avaient été actés, concernant la possibilité pour les travailleurs non-salariés et les démissionnaires d’être indemnisés sous conditions, mais leur portée est très faible. Quant au dispositif de bonus-malus qui module les cotisations des employeurs en fonction de leur recours aux contrats courts, les premiers résultats mettent en évidence leur faible efficacité.

Barrière à l’entrée

Quoi qu’il en soit, sur la réforme de l’assurance-chômage stricto sensu, l’Unédic a commencé dès le mois de mars à publier les principaux enseignements tirés de ces changements. Le gestionnaire de l’assurance chômage a régulièrement produit des travaux de suivi statistiques et réalisé des évaluations économétriques de la réforme, sans oublier des études qualitatives et quantitatives.

La réforme a frappé plus fort les intérimaires et les salariés en contrats courts, avec une surreprésentation de jeunes et de peu diplômés

La Dares, le service d’études des ministères sociaux, n’a pas lésiné non plus. Elle a lancé des projets de recherche sur le sujet et mis en place un comité d’évaluation des mesures, composé de chercheurs de différents horizons. Pilotée par l’économiste Rafael Lalive, cette instance vient de rendre son rapport final le 3 avril dernier, après une publication à mi-parcours en février 2024 qui annonçait déjà quels allaient être les grands perdants des changements de règle.

Premier résultat de ces évaluations : les mesures phares de la réforme ont bien produit l’effet escompté et davantage de salariés sont restés aux portes de l’assurance chômage. En 2023, l’Unédic recensait 30 000 entrées en moins par mois par rapport à 2019, soit une baisse de 15 %. Certes, cette diminution résulte en partie d’une meilleure conjoncture économique. Mais elle est aussi imputable au durcissement des règles.

La réforme a frappé plus fort les intérimaires et les salariés en contrats courts, avec une surreprésentation de jeunes et de peu diplômés. Car non seulement il faut travailler davantage pour prétendre toucher une indemnité, mais les périodes de non-activité entre deux contrats entrent désormais dans le calcul de son montant.

Pour les allocataires abonnés aux parcours fractionnés, cela implique une baisse de l’allocation journalière – de l’ordre de 6 euros par jour en moyenne selon l’Unédic, soit 16 % de moins par rapport à la situation d’avant-réforme –, en théorie compensée par une hausse de la durée potentielle d’indemnisation. Alors que les salariés en contrat court percevaient des sommes plus importantes mais sur une durée plus courte, comparativement aux salariés privés d’emploi à l’issue d’un long CDI, c’est désormais l’inverse qui se produit : ils perçoivent des indemnités plus faibles mais sur une plus longue période.

Emplois peu durables

Mais les travaux des chercheurs ont surtout permis de répondre à la grande question qui agite régulièrement les promoteurs de la politique du bâton : serrer la vis aux chômeurs accélère-t-il le retour à l’emploi ?

Pour répondre à cette question, il faut déjà s’intéresser à ceux qui perçoivent effectivement une indemnisation. Fin 2024, sur 6,2 millions d’inscrits à France travail, 3,8 millions étaient allocataires, ce qui signifie qu’ils avaient ouvert un droit à l’assurance chômage. Parmi eux, seuls 2,6 millions touchaient réellement une allocation. La menace de se voir sucrer une indemnité ne concerne donc en réalité que 42 % des chômeurs.

Pour cette population, la restriction des droits est-elle un aiguillon efficace ? « Les évaluations quantitatives mettent en évidence un effet positif des réformes de la condition d’affiliation et du salaire journalier de référence sur la reprise d’emploi », note le rapport du comité d’évaluation.

Les chômeurs concernés par la réforme reprennent plus rapidement un emploi, mais celui-ci est de moins bonne qualité

Sur le premier volet, qui concerne l’allongement de la période de travail nécessaire, les chercheurs Laurent Brembilla, Chloé Pariset et Kévin Savary calculent qu’il augmente la probabilité de retrouver un emploi dans les deux mois suivant la fin du contrat de l’ordre de 3 points de pourcentage. Elle passe ainsi d’environ 30 % à 33 %.

De quoi sortir les bouteilles de champ’ au ministère du Travail ? Pas si vite, car la suite des résultats est moins flatteuse.

« Cet effet passe toutefois principalement par la reprise d’emplois peu durables, tempèrent les chercheurs. Pour les demandeurs d’emploi de plus de 25 ans, l’effet sur l’emploi provient uniquement de la reprise d’emplois peu stables. »

En résumé, les chômeurs concernés par la réforme reprennent plus rapidement un emploi, mais celui-ci est de moins bonne qualité. Un résultat d’autant moins flambant qu’il ne s’observe qu’à court terme. En comparant deux groupes similaires de demandeurs d’emploi dont l’un est touché par les nouvelles règles et l’autre non, les chercheurs ne constatent plus aucun effet sur la reprise d’emploi deux à trois ans après la mise en œuvre de la réforme.

Concessions sur le choix des emplois

Autre résultat : plus l’indemnité baisse, plus la nécessité de retrouver un boulot est forte. Selon plusieurs évaluations réalisées par d’autres équipes de chercheurs (Paris-Cité, Institut des politiques publiques et Unédic), une baisse de 10 % du SJR réduit la durée sans emploi de 1,4 % à 5 %.

Un résultat confirmé par la Dares : la modification des règles de calcul du SJR a accéléré l’accès à l’emploi des travailleurs aux parcours fragmentés. « La part de ces personnes ayant mis au plus six mois pour retrouver un premier emploi augmente de 4,1 à 6,1 points de pourcentage, passant de 52 % à un taux entre 56 % et 58 % selon la méthode d’estimation », expliquent les auteurs du rapport qui, eux aussi rappellent que l’effet est porté par les contrats courts de moins de six mois.

« Les allocataires aux parcours discontinus déclarent plus souvent faire des concessions sur le choix de leur emploi par rapport aux autres allocataires, du fait de contraintes financières accrues », enchaînent-ils.

Rien d’étonnant à ce que le phénomène concerne aussi les demandeurs d’emploi touchés par la dégressivité. Certes, il s’agit d’un échantillon extrêmement restreint de cadres et de diplômés du supérieur (3 % des allocataires) mais ils sont proportionnellement plus nombreux que les autres à faire des compromis moins favorables « sur la conciliation avec la vie privée, le trajet entre le domicile et le travail, ainsi que le salaire », pointe la synthèse de la Dares.

Maigre consolation, depuis l’entrée en vigueur des nouvelles règles de l’assurance chômage au 1er avril dernier pour adapter les filières seniors au report de l’âge légal de départ en retraite à 64 ans, les cadres bénéficient de certains assouplissements : la dégressivité ne s’applique plus qu’aux demandeurs d’emploi de moins de 55 ans et non plus de moins de 57 ans.

La mensualisation du versement des indemnités sur trente jours prive les demandeurs de 18 euros en moyenne

Mais d’autres réformes postérieures à celle de 2019-2021 ont, elles, durci encore les conditions d’affiliation et d’indemnisation. Ainsi, depuis 2023, le principe de contracyclicité module les allocations en fonction de la conjoncture. La durée maximale d’indemnisation est, elle, passée de vingt-quatre à dix-huit mois pour les moins de 53 ans en 2023, étendue aux moins de 55 ans en 2025. C’est encore le cas avec la mensualisation du versement des indemnités sur trente jours (même les mois à trente-et-un jours) qui, à compter du 1er avril 2025 dernier, prive les demandeurs de 18 euros en moyenne. Autant de mesures qui ne font pas encore l’objet d’évaluation.

En attendant, que feront les décideurs politiques de ces travaux sur la réforme de 2019 ? On pourrait certes se demander s’il est bien nécessaire d’établir des règles affectant le plus grand nombre afin de régler des problèmes concernant une sous-population très spécifique (comme l’expliquait ici la chercheuse Daphné Skandalis). Mais il faudrait surtout s’interroger sur la pertinence d’inciter tous les demandeurs d’emploi à accepter des boulots coûte que coûte.

Ces travaux, riches d’enseignement, pourraient contribuer à résoudre les inégalités qui pèsent sur les chômeurs enfermés dans le cercle vicieux des contrats courts. Ce n’est malheureusement pas la voie que semble emprunter le gouvernement qui, si l’on en croit les informations du Monde, n’écarte pas un nouveau tour de vis : une énième réforme de l’assurance chômage serait d’ores et déjà sur la table.

Source : https://www.alternatives-economiques.fr/un-emploi-a-prix-reforme-de-2019-pousse-chomeurs-vers-prec/00114697