La pauvreté n’a jamais été aussi élevée en France et les inégalités s’envolent
Les dernières statistiques publiées par l’Insee dévoilent un accroissement record des écarts de richesse. En cause, les effets de l’inflation et des politiques publiques anti-redistributives du gouvernement.
L’inflation a fait des ravages dans les rangs des classes populaires, c’est officiellement confirmé. On le craignait, bien sûr, mais on reste surpris devant la violence du choc subi par les Français les plus modestes. C’est ce que montrent les dernières statistiques publiées par l’Institut national de la statistique publique (Insee), qui documentent l’évolution de la pauvreté et des inégalités en France en 2023. Des chiffres qui donnent le vertige et sanctionnent sévèrement la politique économique et sociale mise en œuvre par les différents gouvernements d’Emmanuel Macron.
C’est simple : la pauvreté n’avait, en 2023, jamais été aussi importante en France depuis qu’on la mesure de cette façon, à savoir 1996. Le taux de pauvreté a culminé cette année-là à 15,4 %. Soit un point de pourcentage de plus qu’en 2022. Du jamais vu ! A la fois pour le niveau atteint (15,4 %), mais également pour la rapidité de cette hausse. Jamais la pauvreté n’a progressé aussi vite d’une année sur l’autre, y compris entre 2020 et 2021, en pleine crise sanitaire, ou entre 2008 et 2009, dans l’œil du cyclone de la crise financière.
Le taux de pauvreté à son maximum
Taux de pauvreté en France métropolitaine, en %

En 2023, 9,8 millions de personnes vivaient sous le seuil de pauvreté, à savoir 1 288 euros par mois pour une personne seule1. C’est 650 000 personnes de plus qu’en 2022. Là encore, il s’agit de deux nouveaux records. Jamais le nombre de personnes pauvres n’avait été aussi élevé et jamais autant de personnes n’avaient basculé dans la pauvreté en un an.
Et encore, ces chiffres sont sous-estimés. Pour mesurer la pauvreté, l’Insee ne compte que les personnes vivant dans un logement ordinaire en France métropolitaine. Les habitants des départements d’outre-mer, les ménages d’étudiants, les personnes sans domicile fixe ou encore ceux qui vivent en caravane ou en maison de retraite passent sous les radars.
Ce qui commence à faire du monde : une enquête complémentaire de l’Insee portant sur l’année 2021 évaluait à 2,1 millions le nombre de pauvres supplémentaires qu’il y aurait si l’on prenait en compte ces catégories de la population d’habitude invisibilisées par la statistique. Ce qui veut dire qu’en 2023, le nombre total de pauvres est sans doute proche de 12 millions de personnes !
Des revenus qui s’amenuisent
Si la pauvreté s’est envolée, c’est parce que le niveau de vie des ménages les plus modestes a reculé, dans un contexte d’inflation élevé. Le niveau de vie plafond des 10 % les plus pauvres a diminué de 1 % en euros constants entre 2022 et 2023, c’est-à-dire une fois corrigés les effets de la hausse des prix. Les deuxième et troisième déciles, c’est-à-dire le seuil des 20 % et des 30 % des Français les plus pauvres, se replient également (– 0,9 % et – 0,3 %).
Les plus pauvres voient leur niveau de vie se dégrader
Evolution du 1er décile de niveau de vie (les 10 % les plus pauvres), avant et après redistribution, en euros constants, base 100 en 2008

Cette baisse du niveau de vie des plus modestes s’observe avant redistribution. Ce qui veut dire que ce ne sont pas (seulement) les aides sociales qui sont moins généreuses, mais les revenus dits « primaires » qui s’amenuisent. En cause, notamment, les difficultés croissantes auxquelles font face les indépendants. Selon l’Urssaf, les travailleurs indépendants classiques ont vu leur revenu moyen diminuer nettement à cause de l’inflation : – 4,5 % en euros constants en 2023, après une baisse de – 5,5 % en 2022.
Parmi les non-salariés, les micro-entrepreneurs sont encore plus fragiles. De plus en plus nombreux – ils représentent désormais la moitié des indépendants –, ils ont toujours autant de mal à joindre les deux bouts : leurs revenus d’activité sont en moyenne six fois moins élevés que ceux des travailleurs indépendants classiques. Résultat, le taux de pauvreté des indépendants grimpe à 19,2 %, en hausse de 0,9 point.
Côté salarié, la hausse des temps très partiels, c’est-à-dire inférieurs à un mi-temps, est venue peser négativement sur les revenus. Ils sont passés de 22 % de l’ensemble des temps partiels en 2022 à 24 % en 2023. L’emploi continue de s’émietter, ce qui alimente la machine à créer de la pauvreté laborieuse.
En 2023, les mesures exceptionnelles mises en place en 2022 pour protéger le pouvoir d’achat des ménages face à l’inflation n’ont pas été reconduites
Après redistribution, les choses ne s’améliorent guère. En 2023, les mesures exceptionnelles qui avaient été mises en place en 2022 pour protéger le pouvoir d’achat des ménages face à l’inflation n’ont pas été reconduites. Ce qui a tiré le taux de pauvreté à la hausse. Signe qu’il aurait sans doute mieux valu cibler ces aides vers les ménages modestes pour pouvoir les pérenniser le temps que l’inflation reflue, au lieu de plomber les comptes publics avec des aides au carburant ou un bouclier tarifaire largement captés par les riches.
Autre élément d’explication avancé par l’Insee : les aides au logement ont été revalorisées en deçà de l’inflation, tandis que le nombre d’allocataires de ces prestations a continué de diminuer. Ce qui a pénalisé le niveau de vie des inactifs non retraités, dont le taux de pauvreté atteint 37,3 %.
Les chômeurs, eux, ont subi les effets de la réforme de l’assurance chômage, entrée en vigueur le 1er février 2023, qui a réduit la durée d’indemnisation de 25 % des nouveaux allocataires. Avec, à la clé, une augmentation de 0,8 point de leur taux de pauvreté, qui s’élève à 36,1 %.
Mais c’est pour les familles monoparentale que la hausse a été la plus violente : + 2,9 points, pour atteindre 34,3 %. Et ce en dépit de la revalorisation de l’allocation de soutien familial dont elles ont bénéficié fin 2022. Ce qui visiblement n’a pas permis de compenser la fin des mesures de soutien anti-inflation et la trop faible revalorisation des aides au logement.
Les plus riches ne connaissent pas la crise
A l’inverse, le sort des plus aisés s’est nettement amélioré. Le niveau de vie plancher des 10 % les plus riches a augmenté de 2,1 %, et celui des 20 % les plus riches de 1,1 %, en euros constants. Ils ont bénéficié de la hausse des taux d’intérêt, impulsée par les banques centrales pour juguler l’inflation. Ce qui a nourri leurs revenus financiers. Mais ils ont aussi profité des largesses fiscales d’Emmanuel Macron, et notamment de la dernière phase de la suppression de la taxe d’habitation qui, en 2023, a concerné les 20 % de foyers fiscaux les plus riches.
Les plus riches continuent de s’enrichir
Evolution du 9e décile de niveau de vie (les 10 % les plus riches), avant et après redistribution, en euros constants, base 100 en 2008

Une hausse de 2,1 % du niveau de vie plancher des 10 % les plus riches, cela peut paraître abstrait dans la mesure où c’est une donnée relative. Concrètement, en argent sonnant et trébuchant, et en prenant en compte les effets de l’inflation, cela fait 980 euros de plus, quand les 10 % les plus pauvres, eux, ont perdu 140 euros.
Ce grand écart se traduit en toute logique par une forte hausse des inégalités en 2023, après une stabilisation à un niveau très élevé en 2022. L’indice de Gini2, qui est communément utilisé pour mesurer les inégalités, a été orienté à la hausse en 2023, passant de 0,294 à 0,297. Et s’est dangereusement rapproché de son maximum, atteint en 2011 (0,298).
Les inégalités s’accroissent fortement
Indice de Gini en France. Plus cet indice est élevé, plus les inégalités sont fortes.

Il est également possible de mesurer les inégalités différemment, en comparant la masse des revenus détenue par les 20 % les plus riches et celle des 20 % les plus pauvres. Un exercice qui rend le constat encore plus alarmant. En 2023, les 20 % les plus modestes ont perçu 8,5 % de la somme des niveaux de vie et les 20 % les plus aisés 38,5 %, soit 4,5 fois plus. C’est un record. Ce ratio n’a jamais été aussi élevé depuis qu’on le mesure, c’est-à-dire depuis 1996.
La publication de l’Insee se focalise sur les chiffres consolidés les plus récents dont l’institut dispose, c’est-à-dire l’évolution entre 2022 et 2023. Mais il est intéressant de prendre un peu plus de recul en fouillant dans les séries statistiques annexes à cette étude, qui permettent d’analyser l’évolution de tous ces indicateurs depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017.
En six ans, 1,2 million de personnes sont devenues pauvres, faisant passer le taux de pauvreté de 13,7 % de la population à 15,4 %, l’indice de Gini est passé de 0,281 à 0,297, tandis que le niveau de vie plancher des 10 % les plus riches s’est accru de 1 970 euros (+ 4,4 %). Il est urgent de réorienter la politique économique du locataire de l’Elysée.
Source : https://www.alternatives-economiques.fr/pauvrete-na-jamais-ete-elevee-france-inegalites-s/00115481