RSA conditionné : la preuve par trois que ça ne marche pas
Une étude expérimentale menée sur un programme d’accompagnement d’allocataires montre que ce type de dispositif n’a pas d’effet positif sur le retour à l’emploi ou le niveau de vie.
Ça y est : depuis le 1er janvier, le RSA est conditionné. Objectif : « responsabiliser » les allocataires en les contraignant, sous peine de sanctions, à faire au moins 15 heures d’activité par semaine.
Mais que sait-on exactement des effets des mesures dites « actives » d’incitation à participer au marché du travail, comme par exemple le RSA contre activité ? Aident-elles à trouver du travail ? Permettent-elles de sortir de la pauvreté ?
Jusqu’ici les réponses des chercheurs étaient sceptiques mais pas totalement conclusives, faute en particulier d’avoir pu mener des évaluations expérimentales d’ampleur permettant d’isoler l’effet propre de ces accompagnements, « toutes choses égales par ailleurs ».
C’est ce vide que vient partiellement combler une étude inédite, soumise le 30 décembre 2024 par l’économiste Arthur Heim à l’European Economic Review, et issue de sa thèse soutenue à l’école d’économie de Paris (PSE) en avril 2024.
Ce dernier a en effet pu suivre et évaluer pendant 4 ans, entre 2018 et 2022, un programme intensif d’accompagnement de bénéficiaires du RSA dans leur recherche d’emploi. Ce programme, intitulé « Reliance » et porté principalement par le département de Meurthe-et-Moselle et la CNAF (Caisse nationale des allocations familiales), visait les cheffes de familles monoparentales de moins de 50 ans du Grand Nancy inscrites au RSA depuis 2 ans ou plus, qui sont à 95 % des femmes.
Ateliers de formations, entretiens collectifs ou individuels, construction du projet d’orientation, mises en situation professionnelle… Au fil des années, le programme « intensifie » ses invitations à participer, assortissant ses courriers aux « encouragés » de menace à peine voilée de suspension du RSA en cas de non-participation.
« C’est ce qui rend ce programme comparable à la généralisation actuelle du RSA contre activité, commente l’économiste. En nombre d’heures mobilisées, cela revient à peu près à 15 heures par semaine, et c’est aussi perçu comme “obligatoire” et relevant du champ des “droits et devoirs” pour l’allocataire. »
Impliqué dès les premières étapes du projet, Arthur Heim a pu concevoir, en amont de la mise en œuvre du programme, un protocole d’évaluation basé sur une évaluation aléatoire :
« Nous avons tiré au sort 500 personnes par année dans la population éligible [monoparentale, moins de 50 ans, au RSA depuis 2 ans ou plus, NDLR]. Ensuite, au sein de ces cohortes, on a constitué des petits groupes, puis on a tiré au sort pour savoir à qui on va proposer le programme, et qui va simplement continuer comme avant. »
L’objectif du tirage au sort, combiné à des échantillons homogènes et suffisamment larges, était de neutraliser le « biais de sélection » :
« Avec ce protocole expérimental, on se donne les moyens d’avoir des groupes de comparaisons où la seule différence systématique entre ces personnes, c’est que certaines se voient proposer le programme, et d’autres pas. »
Au total, l’expérience porte sur 844 parents isolés ayant bénéficié de l’accompagnement renforcé au sein de quatre cohortes différentes, et d’un groupe contrôle de 828 parents isolés n’ayant reçu aucune intervention.
Pas d’effet sur l’emploi
Les pouvoirs publics croient dur comme fer à l’efficacité de ces incitations « actives »
L’enjeu autour de cette évaluation aléatoire, l’une des premières en son genre en France, n’était pas mince. C’est que les pouvoirs publics croient dur comme fer à l’efficacité de ces incitations « actives ». Aussi bien sur le plan de la remise au boulot que sur le plan de l’efficacité économique. En témoigne la visite, en 2019, d’Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé, qui s’était rendue à Vandoeuvre-lès-Nancy (54) dans les locaux d’Arélia, l’une des associations prestataires chargées de mettre en œuvre le programme Reliance.
L’économiste Arthur Heim, de son côté, avait préenregistré ses méthodes et ses résultats afin « d’éviter les potentielles pressions politiques » explique-t-il dans sa thèse, au cas où les résultats obtenus ne plairaient pas aux pouvoirs publics :
« La CNAF était à la fois financeur et évaluateur, c’était donc une nécessité méthodologique pour garantir la probité des résultats. »
Une précaution qui n’a peut-être pas été vaine… Car les résultats sont sans appel : le programme d’accompagnement intensif du Grand Nancy n’a aucun effet, positif ou négatif, sur le taux d’emploi, qui comme pour le groupe contrôle atteint environ 25 % sur la période allant de 18 à 36 mois après le début de l’expérimentation. Le constat est le même sur le niveau de vie.
Seule différence, remarquable et contre-intuitive : même si elle diminue pour toutes au fil du temps, la part de revenus constitués d’allocations de la CAF est finalement plus élevée pour les mères encouragées que pour les autres !
Selon Arthur Heim, cela s’explique notamment parce que « le programme amène les participantes à occuper davantage des emplois à temps partiel, alors qu’elles auraient pris des temps pleins si elles n’y avaient pas participé », comme il l’explique dans Mediapart. La Caf vient donc compenser les moindres revenus que ces mères tirent de leur travail. Pas exactement l’effet recherché…
Dispositif coûteux et inefficace
« C’est une réponse très claire : si l’objectif est le retour à l’emploi ou la sortie de la pauvreté, ce genre de programme ne marche pas pour ce genre de population. Il s’agit d’une des premières évaluations expérimentales qui le démontre », complète l’économiste, qui ajoute qu’en plus d’être manifestement inefficaces, ce type de programme peut, en raison des injonctions qu’il fait peser sur les allocataires, s’avérer contre-productif « en augmentant le non-recours » au RSA.
Les pouvoirs publics ont dépensé en moyenne 2 800 euros par participant, avec un espoir (non réalisé donc) de retour à l’emploi
Ils coûtent aussi très cher, aussi bien économiquement que socialement : pour Reliance, les différents pouvoirs publics ont dépensé en moyenne 2800 euros par participant, avec un espoir (non réalisé donc), de 10 % de plus de sorties positives vers le marché du travail.
Si l’on sort la calculette, cela fait 28 000 euros par emploi en plus. « Plus cher qu’un emploi annuel au Smic » note l’économiste qui, dans sa thèse, souligne « le risque pris en poursuivant ces politiques d’activation, compte tenu des coûts impliqués, du risque d’échec, et du peu de considération pour les conséquences en cas d’échec ».
Ces conséquences peuvent s’étendre aux générations suivantes :
« Ces programmes prennent du temps à des parents qui sont seuls pour élever leurs enfants sans améliorer leur niveau de vie, ce qui a de fortes chances d’impacter négativement leurs trajectoires scolaires », complète le chercheur.
« Pourrait-on faire mieux ? » s’interroge-t-il. Peu importe ! Depuis le 1er janvier 2025, la généralisation du RSA contre activité est effective. Quoi qu’il en coûte, et même si ça ne marche pas !
Source : https://www.alternatives-economiques.fr/rsa-conditionne-preuve-trois-ca-ne-marche/00113744