44 milliards au prix d’une grande casse sociale : le mortifère plan Bayrou

François Bayrou a présenté son plan d’économies. S’il a promis une répartition équitable du « fardeau », il sera en fait porté par les actifs, les inactifs et les malades. Et très peu par les riches et les entreprises.

« Tout le monde devra participer à l’effort. » Voilà l’un des cinq principes que François Bayrou a énoncé hier pour présenter son plan de désendettement de la France. En théorie, tout le monde passera à la caisse. Les plus aisés devraient être soumis à une « contribution de solidarité sur les plus hauts revenus » et les niches fiscales et sociales, dont les plus riches sont de grands consommateurs, seront revues, a promis le Premier ministre. De même, les 211 milliards d’euros d’aides aux entreprises pourraient être amendés à la marge.

Dans les faits, le fardeau du désendettement ne sera cependant pas « également réparti entre tous les citoyens en raison de leurs facultés », comme le pose l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Les plus pauvres seront en effet, proportionnellement à leurs revenus, les plus durement touchés du point de vue financier. Par ailleurs, ils seront les premiers concernés par les reculs de droits qui sont annoncés en matière de travail, de chômage ou de santé.

« Quel peuple formons-nous ? A quoi ce peuple croit-il ? De quel ciment est-il soudé ? Et quelle part chacun de nous est-il prêt à prendre à notre avenir collectif ? », a feint de s’interroger le Premier ministre en introduction. Quelques jours après la publication par l’Insee des chiffres records de la pauvreté et des inégalités en France, la suite de son discours a donné la réponse du gouvernement. Et elle est clairement marquée par l’injustice sociale. La preuve avec six mesures présentées hier.

1/ Deux jours fériés supprimés sur la foi d’un diagnostic bancal

« J’y crois absolument pas, il osera jamais faire ça ! » Quand les premières rumeurs de la suppression de deux jours fériés ont fuité dans la presse quelques heures avant que François Bayrou ne prenne la parole, rares sont ceux qui les ont crues. Et pourtant, le Premier ministre a effectivement proposé de retirer deux jours chômés du calendrier, citant « comme exemple » le lundi de Pâques et le 8 mai.

Pour François Bayrou, pas de doute, « il faut que toute la nation travaille plus ». Plus de travail, cela signifie plus de richesses produites, davantage de cotisations sociales, plus de revenus et un surcroît de consommation. Autant de bonnes nouvelles pour les comptes publics. La conviction du Premier ministre n’est pas erronée si l’on se place dans une optique comparative : en 2022, les travailleurs en France avaient passé en moyenne 1 604 heures au turbin, ce qui est moins que la moyenne européenne (1 679 heures), moins que celle de l’Espagne (1 674 heures) ou de l’Italie (1 759 heures).

Mais, d’une part, cette durée effective annuelle du travail était cette année-là supérieure à celle de pays voisins plus riches comme l’Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark, la Suède ou la Finlande. Et d’autre part, ce temps de travail moyen ne dit rien de la répartition du travail entre les actifs d’un pays. Or, une note récente du Conseil d’analyse économique (CAE) rappelle que la principale lacune tricolore réside dans la faible participation des jeunes et des seniors au marché du travail. Les personnes en emploi, elles, travaillent déjà beaucoup. Cela fait écrire aux auteurs que les mesures « de type réduction des jours de congé […] semblent peu pertinentes ».

En supprimant deux jours fériés, François Bayrou fait donc l’exact inverse que ce que préconise un organisme qui le conseille. Même si la proposition, dans sa version actuelle, n’a quasiment aucune chance de survivre à son passage devant le Parlement l’automne prochain, elle envoie un très mauvais signal, à la fois pour les travailleurs aux métiers pénibles et pour ceux qui trépignent aux portes de l’emploi. 

2/ L’année blanche, accélératrice d’inégalités

C’est l’une des mesures annoncées qui surprend le moins, tant l’idée circulait déjà ces derniers jours : une année blanche pour 2026, permettant d’économiser 7,1 milliards d’euros.

Concrètement, les prestations sociales (pensions de retraite, aides au logement, allocations familiales…) ne seront pas revalorisées sur l’inflation comme c’est habituellement le cas. Les barèmes de l’impôt sur le revenu et de la contribution sociale généralisée (CSG) seront également maintenus à leur niveau de 2025, ce qui rendra certains ménages ayant connu une hausse de leurs revenus assujettis à l’impôt sur le revenu ou modifiera leur tranche d’imposition. Pour François Bayrou, il s’agit d’« un geste massif, temporaire, demandé à tous et qui n’aura de sens que s’il est juste ».

Le problème, c’est précisément que la mesure est inégalitaire. Les bas revenus dépendent le plus souvent des prestations sociales, or « à partir du moment où vous les gelez, les effets les plus négatifs en pourcentage du niveau de vie touchent les plus modestes », rappelait sur France Culture Mathieu Plane, économiste à l’OFCE, au lendemain du grand oral du locataire de Matignon.

L’hypothèse a d’ailleurs déjà été documentée : en cas d’année blanche, les 5 % de ménages les plus modestes perdraient près de 1 % de leur revenu disponible comparativement à une situation de revalorisation usuelle, a chiffré l’économiste Pierre Madec. L’institut des politiques publiques, qui avait lui aussi fait tourner ses modèles il y a quelques jours, évaluait la perte entre 0,25 et 0,7 % du niveau de vie pour les plus pauvres.

Dans tous les cas, les premiers déciles de la distribution devraient être ceux qui pâtissent le plus de la mesure. Certes, l’effet du gel du barème de l’impôt sur le revenu – qui concerne davantage les hauts revenus –, rend la potion un peu moins injuste. Mais il ne compense pas l’effet très régressif du gel des prestations sociales.

Si l’on zoome, les retraités feront partie des plus sanctionnés par l’année blanche, avec la non-revalorisation de leur pension.

« En 2026, les près de 10 millions de ménages dont la personne de référence est retraitée verraient leur revenu disponible réduit de 280 euros par unité de consommation en moyenne (350 euros par ménage) soit environ 1 % de leur niveau de vie », précise Pierre Madec.

La seule mesure qui tend vers plus de redistribution concerne l’abattement fiscal de 10 % dont bénéficient les retraités, qui profite essentiellement aux pensionnés les plus aisés. Il devrait être remplacé par un forfait annuel de 2 000 euros, de quoi, a priori, protéger à court terme les retraités les plus pauvres.
 

3/ L’assurance chômage, bouc-émissaire tout désigné

« Nous devons augmenter la part de nos concitoyens qui travaillent », a déclaré le Premier ministre. Il est « insupportable » que tant d’entreprises ne trouvent pas de candidats, a-t-il poursuivi. Quoi de plus logique, donc, que d’aller les chercher dans le vivier des demandeurs d’emploi qui boudent les offres d’emploi ?

Peu importe que les études répètent que les difficultés de recrutement incombent surtout aux employeurs, trop exigeants. Peu importe, non plus, que les premières évaluations de la réforme de 2019-2021 qui a durci les conditions d’accès à l’assurance chômage montrent une accélération de la reprise d’emploi au détriment des contrats durables. Prenant le relais de François Bayrou, la ministre du Travail Astrid Panosyan-Bouvet va demander l’ouverture d’une énième négociation sur l’assurance chômage.

Un impératif motivé par « la trajectoire financière de l’Unédic [qui] se dégrade fortement, même hors transferts financiers vers l’Etat » et par « un taux de chômage et une qualité de l’emploi qui restent stables […] et plus de 450 000 emplois non pourvus », a justifié la ministre. Or s’il y a bien un « décrochage » des finances de l’Unédic, il n’est pas dû à des chômeurs à qui il faudrait verser des allocations. « L’effet des réformes [de l’assurance chômage] 2019-2021 et 2023, jouant à la baisse sur les effectifs, serait plus fort que l’effet à la hausse de la conjoncture dégradée », écrit l’assurance chômage.

Dit autrement, de plus en plus de demandeurs d’emploi ne remplissent plus les conditions d’indemnisation, sachant qu’aujourd’hui déjà, plus de la moitié des inscrits à France Travail ne perçoivent aucune d’allocation. Ce sont bien les ponctions de l’Etat sur les recettes du régime – 3,4 milliards d’euros cette année, sans oublier 5 milliards d’euros versés par l’Unédic à France Travail pour abonder son budget – qui sont responsables de cette mauvaise « trajectoire financière ».

Comme dans Un jour sans fin, dans lequel Bill Murray revit sans cesse la même journée, le scénario d’un échec annoncé va-t-il se répéter ? Tenus par une lettre de cadrage financière très serrée, les partenaires sociaux se quitteront-ils sur un désaccord qui permettra une fois de plus au gouvernement de reprendre la main ?

Avant même le début des discussions, la ministre a annoncé le point d’arrivée : allongement de la période travaillée requise pour pouvoir être indemnisé (actuellement, elle est de six mois de travail sur une période de vingt-quatre mois) et raccourcissement de la durée maximale d’indemnisation (dix-huit mois pour les moins de 53 ans). Il suffit de ressortir des cartons la réforme Attal empêchée sur le fil par la dissolution de juin 2024. Avec une touche supplémentaire de droits revus à la baisse en cas de rupture conventionnelle.

Et selon une stratégie désormais bien rodée, il y a toujours, en contrepartie affichée de la purge, la douceur qui assurera de « travailler bien et mieux ». Mais ce second volet, intitulé « modernisation du marché de l’emploi et de la qualité du travail », ne comporte aucune mesure tangible, si ce n’est des vœux pieux comme le fait de « lutter contre les temps partiels subis par les femmes ». Comment ? Ce serait tout l’enjeu d’autres négociations à venir…

Seule proposition concrète : pouvoir monétiser sa cinquième semaine de congés payés. On comprend l’intérêt pour le portefeuille, beaucoup moins pour la qualité de vie au travail.

4/ Les malades vont devoir passer à la caisse

« Si nous ne faisons rien, les dépenses de santé augmenteront de 10 milliards d’euros dès l’année prochaine », a averti François Bayrou, qui veut limiter cette progression à 4,5 milliards. Pour y parvenir, le Premier ministre compte essentiellement sur une « responsabilisation des patients ».

Le plafond des franchises et des participations forfaitaires ainsi que des montants payés sur les médicaments et actes médicaux devrait ainsi passer de 50 euros à 100 euros par an. Et cela se confirme, le gouvernement entend réformer « en profondeur » – comprendre raboter – la prise en charge des affections longue durée (ALD) dont bénéficient aujourd’hui 14 millions de personnes. Dès 2026, il s’agira de « sortir du remboursement intégral les médicaments sans lien avec l’affection déclarée ou à faible effet médical, et également à sortir de ce statut les patients dont l’état de santé ne le justifie plus », a précisé le locataire de Matignon.

L’autre gros poste d’économie concerne la lutte contre les arrêts de travail. Si le gouvernement n’évoque plus de jours de carence supplémentaires qui visent surtout les arrêts courts, il envisage une reprise du travail « sans obligation de visite médicale et pour les arrêts longs, avis de son médecin ou de son spécialiste ». Aujourd’hui, cette visite de reprise réalisée par le médecin du travail doit impérativement intervenir après un congé maternité, un accident du travail ayant entraîné un arrêt de travail d’au moins trente jours (soixante jours pour les arrêts d’origine non professionnelle) et après une maladie professionnelle, quelle que soit la durée de l’arrêt.

Le message est contradictoire. Alors que le gouvernement promet une négociation avec les partenaires sociaux pour « responsabiliser les entreprises sur la prévention et les salariés contre les arrêts abusifs en intégrant la réforme des indemnités journalières [de maladie qui ont été revues à la baisse] », c’est justement la prévention – et accessoirement les médecins du travail, seuls habilités à entrer dans une entreprise – qui font les frais de ces mesures budgétaires.

C’est vrai pour les arrêts de travail dont les causes et les effets seront moins bien évalués mais aussi pour les ALD. Car le présupposé est de prendre en charge dès lors que la maladie est aiguë, pas avant, ni après. Tout ce qui relève du caractère chronique des maladies, pourtant en forte hausse, ne serait plus pris en compte.
 

5/ L’allocation sociale unifiée, ce vieux serpent de mer

Regrouper les prestations sociales, comme le RSA, la prime d’activité ou les APL, dans une seule et même allocation sociale unifiée ? En voilà une vieille marotte politique, à laquelle n’échappe pas François Bayrou ! Le Premier ministre veut qu’un projet de loi soit déposé au Parlement dans ce sens avant la fin de l’année. « Pour une solidarité plus lisible afin de donner la priorité au travail », dit-il.

L’an dernier, Michel Barnier alors à Matignon plaidait déjà pour une telle mesure. Et avant cela, Emmanuel Macron défendait dans son programme à la présidentielle de 2017 l’idée d’un versement social unique (VSU).

Sauf qu’une telle fusion présente des risques, alertait déjà Timothée Duverger, ingénieur de recherche à Sciences Po Bordeaux, en octobre dernier :

« Les bases de calcul des ressources et les règles d’attribution des aides ne sont pas les mêmes d’une allocation à l’autre. Or, si vous fusionnez, vous harmonisez les modalités. »

L’alignement des modalités pourrait porter préjudice à certains bénéficiaires. Ce serait par exemple le cas si les chômeurs en fin de droits qui touchent l’allocation de solidarité spécifique (ASS) basculaient demain vers une allocation sociale unifiée qui suivrait les règles du RSA, désormais conditionné à quinze heures d’activité hebdomadaire. Pour compenser les pertes, le gouvernement devrait allouer des moyens supplémentaires. Mais dans un contexte de chasse aux dépenses, on imagine mal l’exécutif aller dans cette direction…

6/ Haro sur les fonctionnaires

S’il existait un tutoriel pour Premier ministre de droite intitulé « comment réussir son plan d’austérité », nul doute que l’étape « annoncer une baisse du nombre de fonctionnaires et un gel de leur masse salariale » figurerait en bonne place. Sans surprise, donc, François Bayrou propose « la réduction de 3 000 emplois publics » au sein de l’Etat ainsi que 1 000 à 1 500 suppressions de poste chez ses opérateurs grâce à leur « réorganisation via des réinternalisations ou des fusions ». Le Premier ministre promet par ailleurs déjà « le non-remplacement d’un fonctionnaire sur trois partant à la retraite » à partir de 2027.

Les économies dégagées par ces suppressions de poste ne seront pas redistribuées aux fonctionnaires. « Il n’y aura pas de mesures de revalorisation générales ou catégorielles dans les ministères », a dit le locataire de Matignon, promettant simplement que « les règles d’avancement dans la carrière des fonctionnaires seront intégralement respectées ».

La stigmatisation des fonctionnaires, jugés tantôt trop nombreux, tantôt trop bien traités, tantôt trop protégés, ne résiste pas à l’analyse. Ils seraient trop nombreux ? La part de l’emploi public dans le total de l’emploi est passée de 22 % en 1989 à 19,6 % en 2022. Trop bien traités ? Les multiples années de gel du point d’indice ont entraîné un décrochage marqué de leur pouvoir d’achat. Trop protégés ? Le statut du fonctionnaire et son emploi « à vie » recule au profit du recours aux contractuels, beaucoup plus précaires : ces derniers représentaient 23,3 % des effectifs de la fonction publique en 2023, contre 16,7 % en 2011.

L’attaque contre les fonctionnaires est également justifiée par le niveau de « sur-administration » français fantasmé par la droite et les libéraux. En fait, si l’on compare précisément les situations, l’Hexagone est dans une situation intermédiaire en matière de nombre d’emplois dans l’administration publique par habitant.

Cette nouvelle offensive anti-fonctionnaire, gratuite, aura en revanche un prix. Il sera payé par les intéressés mais aussi par les usagers des services publics, dont la qualité de service devrait se dégrader. De quoi saper progressivement le consentement à l’impôt, avec un sentiment croissant de payer des impôts mais de ne pas en avoir pour son argent.

Source : https://www.fsuemploi-hdf.fr/211-milliards-dans-la-brume-quand-letat-distribue-aux-entreprises-a-laveugle/Par Audrey Fisné-Koch, Sandrine Foulon et Vincent Grimault